“En ce 106ème anniversaire de l’armistice du 11 Novembre 1918, nous nous souvenons qu’après 4 ans de guerre, à la fierté de la victoire se mêlait le cortège « des morts pour la France » accompagné de ceux qui les pleurent.
Honorer leur mémoire, c’est écouter ce qu’ils nous disent encore aujourd’hui, c’est accepter de tirer les leçons de l’Histoire.
Ces milliers de « Morts pour la France » nous laissent un devoir de gratitude, de lucidité et d’espérance.
Le devoir de gratitude, c’est tout simplement se souvenir du sacrifice de ces jeunes hommes qui ont donné leur vie pour leur pays. Les épreuves qu’ils ont traversées sont difficiles à imaginer.
Pour nous en imprégner, lisons les mots d’un collégien d’Anduze qui, à partir des recherches de Bernard de Fréminville fait revivre la mémoire d’un poilu :
« Je m’appelle Albert Jean R.. Je suis né à Anduze en 1883. J’ai 30 ans, je suis cordonnier et j’ai été incorporé dans la Meuse du 11 au 25 août 1914 en tant que soldat de 2° classe.
C’est horrible, je sens la fumée des mitraillettes, des bombes, je sens l’odeur du sang des hommes déjà morts. Je vois et j’entends des soldats qui souffrent ; certains ont des blessures infectées, d’autres ont perdu un bras ou une jambe, certains crient et appellent leur mère. Quand je touche mes vêtements, je sens sous mes doigts le tissu épais et sale, mon arme est froide entre mes mains. Le goût dans ma bouche est désagréable à force de manger la même nourriture, et puis, impossible de rester propre. Je me sens très sale, on se lave pas, et nous avons des poux.
Nous sommes le 25 août à Warcq. Je me suis réveillé, mais où ? Je ne sais pas où je suis, je suis perdu et il n’y a personne. Je suis seul et grièvement blessé ; je perds connaissance. Je crois que mon dernier jour est arrivé. Nous étions en terrain découvert et une bombe a explosé à mes côtés. J’ai vu mon ami Pierre tomber. Je n’entends plus rien, je suis couvert de sang et mes jambes ne me portent plus. J’ai un grand trou dans le ventre et je suis de plus en plus faible. Je vois le ciel peu à peu disparaître. Adieu le monde !Adieu mon père et ma mère ! Je vous aime ! J’espère qu’on se verra dans l’autre monde.
Je m’appelais Albert Jean R.., J’avais 30 ans, je suis mort pour la France. »
Le devoir de lucidité c’est de ne pas oublier que 21 ans après que les canons se soient tus, il a fallu reprendre les armes en 1939. La « der des der » ne fut qu’une « armistice de vingt ans » pour reprendre les mots du maréchal Foch.
À l’heure où la tragédie de la guerre a fait son retour en Europe et meurtrit le peuple Ukrainien, A l’heure où certaines puissances remettent en cause tous les fondements du droit international, méprisant les peuples et les résolutions de l’ONU, ceux de 14-18 et ceux de toutes les guerres nous murmurent de continuer à défendre la paix.
Jean Jaurès, il y a 110 ans, a eu ces mots d’une extrême actualité, encore aujourd’hui : « Il faut rompre le cercle de la fatalité, le cercle de haine où la guerre tourne après la guerre dans un mouvement sans issue et sans fin, où le droit et la violence ne se discernent presque plus l’un de l’autre, où l’humanité déchirée pleure de la victoire et de la justice presque autant que de sa défaite… L’humanité est maudite si pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la guerre, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre. »
Dans le droit fil des propos de Jaurès, le devoir de lucidité nous commande de défendre la paix, de construire la paix dans le monde, souvent au prix d’un effort incessant.
Le devoir d’espérance, c’est celui de ne pas douter, malgré tout, de la capacité de l’Humanité, de venir à bout des défis qui se présentent à elle, et qui changent au fil des générations. Ainsi, à la guerre entre nations, au risque d’embrasement des conflits, se rajoutent les enjeux liés au dérèglement climatique qui exacerbe les tensions entre sud et nord de la planète.
Ces évolutions nous appellent à renouveler notre regard sur le monde pour créer et re-créer sans cesse les conditions de la paix, notamment en Europe et par l’Europe.
Au fil de notre histoire, les soldats morts pour la France, ou pour le service de la République, nous rappellent que la paix n’est pas une évidence et que rien n’est définitivement acquis.
C’est pourquoi, réunis devant ce monument aux morts, élus, anciens combattants, représentants des jeunes générations, citoyens, nous ne sommes pas seulement les gardiens de la mémoire des morts, nous sommes d’abord les sentinelles des vivants.
Vive la France ! Vive la République ! Vive la Paix !”
D’après le discours de Monsieur Sébastien Lecornu, ministre des Armées, et de Monsieur Jean-Louis Thieriot, ministre délégué auprès du ministre des Armées et des Anciens combattants.